ARTICLE D’ALAIN MABANCKOU DANS JEUNE AFRIQUE SUR LE ROMAN DE CHARLINE EFFAH « N’ÊTRE » ÉDITÉ À LA CHEMINANTE
« Il faut prendre au sérieux les romans à petit format – je ne parle pas des livres de poche qui, eux, proviennent généralement d’une éditions grand format -, ceux publiés directement dans une édition qui laisserait penser au lecteur qu’il s’agit d’une réédition. En ouvrant celui-ci, j’ai été subjugué par la maîtrise du récit, et surtout par cette écriture d’une élégance à la fois détachée et ciselée. Depuis Une si longue lettre, de Mariama Bâ, je n’avais plus rencontré ce regard pointilleux sur les travers des sociétés africaines et, à ce titre, Charline Effah pourrait être considérée comme « la petite fille » de cette immense romancière sénégalaise qui a marqué les lettres du continent.
Comme une si longue lettre, N’être, se lit également comme une missive – à cause certainement du tutoiement et de la destinataire : la mère de la narratrice. Cependant, la lettre est adressée à tous ceux qui, de près ou de loin, mésestiment les conséquence de l’enfance « adultérine », de la marginalisation et du carcan des conventions. Tout au long du roman, le lecteur ressent de souffle de la liberté, le refrain d’une indépendance que les personnages s’accaparent par tous les moyens, en particulier par le biais de l’amour. Lucinda, qui a connu une enfance des plus marginalisées espère une rédemption dans l’amour et tombe dans les bras d’Amos, un homme marié – un comme comme sa propre mère – et c’est le début d’un calvaire qui ira du rejet d’une grossesse à diverses humiliations.
Peu importent ces quelques moments artificiels passés au Tropical Bar, que fréquente son autre amoureux et où elle croise des personnages plus « désespérés » les uns que les autres ou impliqués dans des relations les plus inextricables pendant que leur situation de séjour en France est des plus compliquées. Si Lucinda plus de « ménage à trois » c’est pour « tuer » la figure envahissante de Medza, cette mère synonyme de sa déchéance, de son chemin de croix.
La rupture thématique opérée par Charline Effah est spectaculaire. Dans la littérature africaine, la mère est d’ordinaire, la mère sanctifiée, mais la romancière brise le tabou dans une narration où le tutoiement est une sorte de reddition des comptes.
N’être est porté par un souffle intemporel et la puissance d’une écriture « habitée » par la grâce. J’avais dit il y a plusieurs années que la littérature gabonaise « n’existait pas » : le Gabon a désormais une voix, une plume qui comptera parmi les plus talentueuses de la littérature africaine contemporaine.«
Alain Mabanckou
in Jeune Afrique du 19 juillet 2015
Magnifique et réjouissant article d’Alain Mabanckou sur le roman de Charline Effah ! Merci à ce grand monsieur de la littérature pour ce regard passionné, passionnant et bienveillant.
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