L’HEBDOMADAIRE MARIANNE REND HOMMAGE À NELLA LARSEN DANS UN TRÈS BEL ARTICLE DE FRÉDÉRIQUE BRIARD CONSACRÉ AUX « CHEFS-D’ŒUVRE MAUDITS ENFIN CÉLÉBRÉS », DONT LE ROMAN DE NELLA LARSEN « SABLES MOUVANTS »
Victimes de la censure ou de malchance, trop en avance sur leur époque,
de grands livres furent parfois voués au silence.
Justice est rendue à certains qui ressortent aujourd’hui.
Son nom serait sans doute encore perdu dans les limbes de l’oubli si les éditions de La Cheminante n’avaient pas décidé de traduire pour la première fois dans l’Hexagone son texte majeur, Sables mouvants. Métisse née d’un père antillais et d’une mère danoise aux États-Unis en 1891, première femme noire à recevoir une bourse d’études du Guggenheim, figure remarquée du mouvement Harlem Renaissance, Nella Larsen écrit ce premier roman largement autobiographique en 1928. Il est remarquable. Outre un style naturaliste maîtrisé à l’extrême, une structure romanesque singulière et des personnages à la psychologie taillée au scapel, quelle modernité quand on lit ce texte à l’aune du temps présent ! A travers le personnage principal d’Helga Crane et ses errances entre l’Amérique et l’Europe (Conpenhague), Nella Larsen affirme des « choix antiassimilationnistes », pour reprendre les mots de sa traductrice, Florence Canicave, courageux, douloureux. Refusant de se laisser emprisonner dans les carcans raciaux, « elle est perpétuellement sacrifié sur l’autel de la ligne de couleur », selon son biographe, Georges Hutchinson : trop blanche pour les Noirs, trop noire pour les Blancs. Rongée par ce métissage si complexe à assumer, son héroïne tente de noyer sa détresse dans le pentecôtisme et la dévotion religieuse. En vain, Illusoire exutoire.
Avec Sables mouvants, et presque un siècle d’avance, Nella Larsen pose déjà les jalons de la question identitaire qui taraude aujourd’hui nos sociétés européennes, inéluctablement vouées au métissage. Afropéenne avant l’heure. Elle publie en 1929 un second roman, puis une nouvelle, l’année suivante, qui fera l’objet de plagiat. Sa carrière s’arrête alors brutalement. Elle meurt à New York en 1964.